Huit heures dimanche, sonnerie de réveil : la douceur aidant, quimporte la pluie qui bat le vélux, je repousse rageusement la couette pour me glisser hors du lit et enfiler un cuissard. Oui Môssieur : un cuissard ! Cest décidé, ce matin, je vais rouler ! Le résultat dun pari idiot qui a mal tourné, entre deux bières : «Heeeee les mecs... Et si on fsait la Pierre Le Bigaut ?» Le genre de truc que lon regrette le lendemain matin en cherchant les efferalgans. Madame ouvre un il; je lis une certaine incrédulité dans son regard, une surprise teintée damusement... Elle emporte la couette, se tourne en souriant et se greffe au matelas. Il faut dire que ce come-back nest pas une première et quon pourrait mappeler Johnny. Oui, elle se rendort, soupire daise alors que la pluie redouble et se dit très certainement que son cher époux a bien choisi son jour pour opérer son grand retour sur les routes du canton... Enfin... De la commune, dans un premier temps. En descendant les escaliers, je crois même percevoir un léger gloussement... Dans le style : «on se revoit dans cinq minutes chéri !»
Quimporte lattitude désinvolte de mon fan-club déserté, javale le petit-déj en dédaignant le pot de Nutella et la confiture de fraises. Pourtant maison, la confiote ! Opération kiwi et café noir. Vous ne le croirez pas : à peine trente secondes pour retrouver le vélo derrière la tondeuse, entre des vieux sacs de ciment et ma réserve de tuyaux quil faut absolument garder alors que tout le monde sait pertinemment quils ne serviront jamais à rien. Dénicher la pompe, je dois ladmettre, me prend un peu plus de temps et marrache quelques jolis noms doiseaux. Idem pour passer le chiffon sur le cadre car il ny a bien évidemment aucune chance que la poussière sen aille sous leffet de la vitesse.
Sortie du garage : les cales sont toujours aussi casse-g...... et, premier phénomène des plus étonnants, la selle me semble toute petite ! Au sec durant plusieurs années, le cuir doit certainement rétrécir avec le temps. Place ensuite à la première escalade de la matinée : quelle idée saugrenue (alternative certes désuète mais plutôt polie au mot «conne») dhabiter au fond de la vallée ! Et observation instantanée du second phénomène inexplicable de la matinée : pourtant loin de la Californie et des autres terres tremblantes, la tectonique des plaques impacte fortement la Bretagne ! Des côtes, des bosses, des coups dcul qui savéraient auparavant totalement anodins et franchissables sur la grosse sont devenus de vrais murs aux allures de remparts sévèrement gardés voire de forteresses imprenables ! Jhabite au pied du Ventoux et le bédouin en bave déjà...
Haut de bosse : le sort sacharne... Zatopek vêtue de rose, certainement issue dune longue dynastie kenyane quoique rousse, pâle et née à Brest, ma jeune voisine rentre de son énième jogging de la semaine et maperçoit. Pas question de paraître fatigué... Ni fatigué, ni essoufflé.... Même pas mal ! Je ferme la bouche, rentre le ventre, lève le cul de ma maquette de selle et tente daccélérer. Je la salue en arborant un rictus qui se voulait sourire et tente même de balancer une phrase bassement masculine (Un truc du style : «Salut ! Mmmmmoui super temps pour faire du sport et prendre soin de son corps... Bonne route à toi jeune beauté aux semelles de vent !»), le tout se résumant finalement en une sorte de grognement néandertalien. Quelle est longue cette dernière ligne droite ! Enfin un virage... La Miss Mimoun du quartier ne peut plus me voir : viiiiiite, ouvrir la bouche, respirer, reposer le derrière sans casser la tige de selle et remercier la DDE davoir placé un stop à cet endroit. Qui plus est avant une descente... Résiste à cette envie de rentrer !
Quelques kilomètres plus tard, je peux déjà rédiger un rapport de mission détaillé, un relevé dobservations digne des travaux des plus grands explorateurs et autres ethnologues de notre temps Avec les années, la densité dautomobilistes impatients et teigneux (là encore, alternative très polie au même mot croisé ci-dessus mais cette fois utilisé surtout au masculin et souvent aux pluriel) a considérablement augmenté. Ceci explique certainement le décuplement du nombre de VTT : il faudra bientôt rouler dans les fossés pour ne pas déranger les seigneurs diésélistes à quatre roues. Au fil des bornes, je me fais quelques amis : ils klaxonnent rageusement et, lindex virevoltant, je les salue également dun sympathique geste tout aussi chaleureux. Voilà au moins une partie de mon anatomie qui fonctionne toujours aussi bien !
Plusieurs heures après mon départ, vers 8h40, je croise un peloton du dimanche. Je les vois sapprocher, la main droite lâche le guidon et je salue le groupe. La paluche en lair, jobserve niaisement les camarades de galère qui me croisent : Pas un seul ne daigne répondre à mon signe amical et ô combien confraternel ! Même pas un regard... Je porte pourtant léquipement qui va bien avec les pubs et tout et tout. Hééé regardez, ya même du fluo sur mon maillot ! Rien, nada, netra tout : La bérézina, je suis transparent. Deux virages plus tard, je croise les largués du groupe de tête... Ils en bavent tout autant que moi et certains arborent au dessus du cuissard, un buffet qui fait le bonheur des sponsors : bonjour la lisibilité de la pub ! Bedaine, traquenard du dimanche et qui plus est labondante ondée qui nous inonde... Ces points communs nous rapprochent et jai la faiblesse de croire que ces champions aux allures de mannequins pour les produits Père Dodu prendront le temps de lever la menotte. Que nenni ! Pour une bonne part dentre eux, ils tournent la tête quand dautres me lancent un regard dédaigneux A croire que je viens de croiser la sortie annuelle de lamicale des anciens champions du Monde ! Ou celle des producteurs de melons.
Fin de matinée, 10h15, retour à la casa départ : jai mal partout. Ni fanfare ni majorette, ni ponton vendéeglobiste à mon arrivée. Tout le monde dort encore et je peux donc maffaler lourdement dans le canapé du salon sans même tenter denlever mon casque. Avant de sombrer, Coluche me revient à lesprit : "C'est dur le vélo... oh la la qu'est-ce qu'il faut être con pour faire ça comme sport !" La suite du sketch, cest deux heures plus tard quand jouvre un oeil sous les vivas de la famille réunie autour de lapéro dominical. Le beau-père est mort de rire en me tendant un ptit blanc dAlsace et lun des gamins me demande «cétait dur, papa ?» Tu verras, petit scarabée, tu verras...
Bon sang, qui est lidiot qui a mis la douche au deuxième étage ?
GM
PS : La PLB, cest le dimanche 29 juin dans le kreiz Breizh... Il me reste à peu près six mois. A vous aussi dailleurs