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« Les gars, j’arrête ! ». La scène se passe au sein du peloton le 14 juillet 1992 lors du critérium de Mauron où une bonne partie des meilleurs coureurs amateurs de Haute-Bretagne se sont engagés. Ses potes Frédéric Guesdon et Emmanuel Hubert sont médusés. « J’arrête le vélo ! », leur précise-t-il. Quelques minutes plus tard, il se changeait dans sa voiture, reprenait la route de Rennes. C’en était fini de la carrière d’un des capitaines de route de la section cycliste de l’Athlétic Club de Boulogne Billancourt (ACBB).
Christophe Garçon, dès le lendemain, passait au peigne fin les petites annonces d’Ouest-France, à la recherche d’un emploi. « J’ai arrêté sur un coup de tête. Comme ça ! » Un acte non prémédité donc ? « Après réflexion, peut-être que j’avais dans mon fort intérieur pressenti que j’avais fait le tour. C’est dans ces années, que le vélo est entré dans cette période très particulière qui allait le mener dans le mur », analyse aujourd’hui avec le recul nécessaire l’ancien coureur rennais, installé à Mauves-sur-Loire, à une quinzaine de kilomètres à l’Est de Nantes.
Et pourtant, un quart de siècle plus tard, le nom de Christophe Garçon apparaît toujours dans les classements des courses de la région nantaise. Le virus, endormi pendant une dizaine d’années, a refait surface. L’an dernier à 52 ans, le coureur du VC Sébastiennais ( Saint-Sébastien-sur-Loire) a encore gagné une belle course en ligne en 3e catégorie, Nantes - Legé. Il appréhende toujours son sport avec le même sérieux qui le caractérisait lorsqu’il courait au plus haut niveau amateur. Tout est minuté dans son emploi du temps. « Ok ! On se voit samedi matin à 9 h. Après je vais rouler car en fin d’après-midi, je vais à la Beaujoire voir Nantes - PSG avec mon fils Gabriel ».
Lorsque notre rencontre a eu lieu, au cours du mois de janvier 2017, le thermomètre affichait - 2° C sur les bords de Loire. Christophe et Gabriel, 12 ans, partaient pour une sortie de trois heures pour le père, pour un entraînement d’une heure pour le jeune Garçon, semble-t-il, inoculé par le même virus que son géniteur. Le fiston a pris sa première licence en minimes cette année et s’est déjà fait un prénom en remportant trois victoires. « Maintenant ma motivation va bien sûr pour Gabriel, mais je vais quand même essayer d’en gagner une cette saison », précise Christophe.
Celui qui fut champion de France du contre la montre par équipe juniors aux côtés de Pascal Lino, Jean-Jacques Henry et Jean-Christophe Moussard au sein de l’équipe de Bretagne, fait partie de ces coureurs amateurs français qui, au tournant des années 80/90, auraient sans doute eu leur place chez les professionnels, si en novembre 1989, un mur ne s’était pas écroulé entre Berlin Est et Berlin Ouest. Cet évènement majeur de l’histoire aura des répercussions jusque dans les pelotons cyclistes professionnels et amateurs avec l’arrivée à l’ouest des meilleurs coureurs amateurs des pays de l’Est en cette fin de XXe siècle.
Mai 1988, Christophe Garçon qui fait son service au Bataillon de Joinville participe au grand prix de la Rochelle, tout comme ses collègues de caserne, Frédéric Moncassin et Laurent Jalabert. La plupart des grands clubs français dont l’ACBB y ont inscrit leurs meilleurs éléments. Pas vraiment aidé par ses deux camarades sous les drapeaux, Christophe Garçon fera ce que l’on appelle un numéro face au gotha du cyclisme amateur. « Même si nous faisions partie de la même équipe, Moncassin et Jalabert roulaient derrière. Ils voulaient que cela se joue au sprint où tous les deux avaient leurs chances », se rappelle Christophe. Le Rennais gagnera l’épreuve. « Claude Escalon est venu me voir après l’arrivée. Ce fut le premier contact avec le directeur sportif de l’ACBB », explique Christophe, licencié au CC Rennais, club qui l’avait formé et dont il était alors l’un des leaders.
Christophe Garçon vainqueur des 3 jours de Rennes en 1989.
Tout avait commencé quelques années plus tôt. A la maison, Christophe entendait souvent parler de ce papa coureur, décédé alors qu’il n’avait que 7 ans. Dans la famille il y avait un autre bon coureur, son oncle. Alors les dimanches étaient rythmés par les courses cyclistes, sur le bord de la route, puis dans le peloton dès qu’il eu l’âge de prendre une licence en cadet. « Dès les premières courses j’ai été dans le coup. Le moteur était là. C’est ensuite Alain Heulot, le papa de Stéphane, qui s’est occupé de moi et qui m’a tout appris », précise celui qui frappera aux portes des équipes de Bretagne, dès les rangs juniors. « Je me suis révélé être un bon rouleur et par la suite d’être endurant, notamment dans les courses à étapes ». Un coureur qui aime bien dynamiter un peloton, le garder en respect, rouler en solitaire comme en cette année 1988 à la Rochelle. Sous les couleurs du CC Rennais qui possédait alors une très bonne équipe avec des coursiers comme Hervé Garel ou Eric Heulot, Christophe est maître sur ses terres aux Trois Jours de Rennes en 1989.
« C’est simple, les classiques parisiennes avaient un plateau digne d’un mini championnat du monde amateur ».
En 1990, les contacts aboutissent avec l’ACBB : « J’avais vraiment besoin de me remettre en question ». Ultime étape pour passer pro ? « C’est drôle, je ne m’étais jamais vraiment fixé cet objectif. Certes j’y pensais un peu, mais sans plus. A cette période, les places étaient très chères, vu le peu d’équipes françaises ». En effet, le peloton hexagonal professionnel a rétréci au lavage. Quatre formations françaises disputent les tours 1990 et 1991 et seulement trois en 1992 après le retrait de Toshiba à l’intersaison. Depuis plusieurs années, l’ACBB n’est plus la voie royale pour prétendre à entrer dans la grande équipe Peugeot devenue à partir de 1987, l’équipe Z-Peugeot. Et le club de l’ouest parisien doit désormais compter avec de nouveaux rivaux en Île-de-France.
Christophe Garçon sous les couleurs de l’ACBB de 1990 à 1992 (à droite). A ses côtés Jean Guérin.
Lorsque Christophe Garçon débarque à l’ACBB, ils ne sont plus qu’une poignée de coureurs français dans l’effectif. Les autres coursiers sont polonais, bulgares, danois, irlandais, australiens et estoniens venus tenter leur chance à Paris pour décrocher un contrat pro. D’autres clubs franciliens ont fait de même. « C’est simple, analyse Christophe, les classiques parisiennes avaient un plateau digne d’un mini championnat du monde amateur ».
Mais le club parisien possède toujours un service course performant, doté d’un matériel et d’un encadrement digne d’une équipe professionnelle. Claude Escalon, ancien adjoint de Mickey Wiégant, veille sur l’équipe depuis le départ du « maître » quelques années plus tôt.
Quant aux coureurs français, ils bénéficient d’un véritable statut. « Nous étions des éducateurs sportifs en contrat de qualification à la mairie de Boulogne-Billancourt. Nous avions un rôle de représentants de la ville sur toutes les courses auxquelles nous participions ». Un statut enviable par rapport à bien d’autres coureurs amateurs à l’époque. « Je me suis aperçu que ces trois années passées à l’ACBB comptent pour ma retraite. Ce n’est pas négligeable ».
Côté course, l’effectif est tellement riche que Claude Escalon ne donne pas vraiment de consignes. Christophe Garçon devient l'un des capitaines de route de cette équipe cycliste polyglotte. « Moi, je continuais à vivre en Bretagne et je faisais des allers-retours entre Rennes et Boulogne. Lorsque j’étais sur Paris nous allions souvent rouler en vallée de Chevreuse. J’ai noué d’excellentes relations avec notamment les deux Estoniens, Jaan Kirsipuu et le regretté Lauri Aus. Les deux coureurs étaient impressionnants. Je me rappelle encore de Jaan dans le Tro Bro Leon en 1992, malgré sa morphologie de sprinter, il passait les raidars ».
Christophe Garçon (4e à partir de la droite) dans un riche effectif de l’ACBB composé de beaucoup de coureurs étrangers. En médaillon à gauche, le directeur sportif Claude Escalon.
L’Estonien va se bâtir un palmarès impressionnant lors de son passage à l’ACBB en 1992. Outre les ribinoù, il décrochera onze victoires notables dans des épreuves par étapes et dans des courses en ligne dont les classiques Paris-Mantes, Paris-St Quentin, les courses belges Froyennes-Tournai et Nechin-Estaimpuis. Quant à Larry Aus, moins en vue que son compagnon balte lors de son arrivée sur les bords de la Seine, il se révèlera être un excellent rouleur et terminera cette même année, 5e de l’épreuve en ligne des JO de Barcelone. Jaan Kirsipuu signera son premier contrat pro dès 1993 chez Chazal-Vetta et se construira un palmarès très enviable chez les pros grâce à sa pointe de vitesse. Quant à Lauri, passé pro en 1995 à la Mutuelle de Seine-et-Marne avant de rejoindre Vincent Lavenu chez Casino et AG2R, la vie ne lui laissera pas le temps de se bâtir le palmarès que son talent lui prédisait. « Il décèdera, fauché par un camion lors d’un entrainement sur ses routes estoniennes », précise Christophe.
« Je n’ai aucun regret de ne pas être passé professionnel. J’ai fait partie d’un club tellement bien structuré dans lequel j’ai pu côtoyer un tas de coureurs étrangers ».
Lorsque ses deux coéquipiers estoniens deviennent pro, Christophe Garçon a déjà raccroché : « Mais j’avais toujours autant de plaisir à aller les saluer lorsqu’ils venaient courir en Bretagne, notamment au Grand Prix de Plouay. Je n’ai aucun regret de ne pas être passé professionnel. Je faisais partie d’un club tellement bien structuré dans lequel j’ai pu côtoyer un tas de coureurs étrangers. J’ai voyagé. J’ai fait ce que j’aimais, sans pression. Ce fut une expérience unique », analyse l’ancien Rennais qui peut se prévaloir d’un palmarès tout à fait honorable avec notamment une victoire d’étape dans le Ruban Granitier Breton en 1990. Un palmarès qui s’enrichit toujours d’une ou deux victoires chaque saison…
Albert LE ROUX
Christophe Garçon court toujours à 52 ans : « J’ai besoin de ça. Je me suis essayé à la course à pied après mon arrêt en 1992, mais au début des années 2000 je me suis mis à faire une sortie de VTT le samedi matin avec des copains. Je me suis senti tout de suite dans le coup et je suis revenu rapidement à la route en prenant une licence en 2003 ». Après quoi court-il donc ? La victoire ! C’est bien connu dans le vélo, seule la victoire est belle !
Aussi la motivation est-elle la même que lorsqu’il était cadet au CC Rennais. En revanche, il n’est plus question de courir comme un cadet ou d’attaquer « en guerrier et de les faire péter » à 100 bornes de l’arrivée, comme il le faisait sous le maillot du club parisien. Christophe gère sa course et lorsque l’occasion se présente, il s’en va en claquer une. « Je roule en pur amateur mais j’ai quand même réussi à retrouver un bon niveau de 2e catégorie. Et puis dans les Pays de la Loire on peut repartir en début de saison en 3e catégorie au bénéfice de l’âge ». Au palmarès de ce pur amateur, une troisième place au championnat de France master.
Régulièrement sur la ligne de départ de certaines courses, il retrouve parmi les favoris les mêmes noms que lorsqu’il courait au plus haut niveau amateur, sauf que désormais, il s’agit des fistons.
Lorsque Christophe Garçon décide de « bâcher » et d’arrêter de courir le 14 juillet 1992 au critérium de Mauron à l’âge de 26 ans, il a pour tout bagage un bac scientifique. Il décide donc de répondre à des petites annonces d’emplois. Il effectue un premier travail commercial dans une filiale d’Ouest France.
Après cette première expérience, il entre dans une entreprise de gestion immobilière puis poursuivra dans la gestion patrimoniale au sein du groupe AXA, et aujourd’hui en tant qu’ingénieur d’affaires chez Allianz. « Mon passé de coureur de haut niveau m’a beaucoup aidé à chaque étape de ma carrière. Je suis tombé à chaque fois sur des personnes qui aimaient le cyclisme. On se mettait à parler vélo tout de suite, se rappelle-t-il. Et puis c’est un sport qui véhicule des valeurs comme le courage, la volonté, le respect. Cela m’a, je crois, beaucoup aidé dans mon parcours professionnel ».
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