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La règle était la même pour tout le monde. « Tu marchais, on te mettait des boyaux Clément. Tu ne marchais pas, tu roulais avec des Wolber. C’était comme cela avec Monsieur Wiégant », se rappelle Jean-Pierre Bouteille qui tenta sa chance dans le grand club francilien de l’Athlétic Club de Boulogne-Billancourt au milieu des années 70. Et lui, il eut droit à des Clément et même mieux que cela. « Lors de la Route de France 1977, on mit à ma disposition un ancien vélo très léger qui avait été utilisé plusieurs années auparavant par Jean Graczyk. Pour la montée du Puy-de-Dôme on me monta des manivelles de 172,5 cm », poursuit l’ancien professionnel de chez Fiat. « Je n’ai jamais connu un service-course aussi performant, même lorsque j’étais chez les pros ».
Le coureur plancoëtin n’a que 19 ans lorsqu’il rejoint le club parisien. Il finit ses classes du côté de Metz avant d’être incorporé à la base aérienne 117 Paris, située dans le XVe arrondissement, plus communément appelée la Cité de l’Air. Le siège de l’état-major de l’Armée de l’Air est idéalement placé pour le jeune coureur breton qui n’a que la Seine à franchir pour gagner Boulogne-Billancourt et rejoindre le siège de l’ACBB. C’est ce qu’il fit dès le lendemain de son arrivée à Paris : « Je m’en rappelle encore. C’était impressionnant. Dans l’entrée des coupes, des trophées et des photos de coureurs portant les maillots de champions du monde passés par le club. Ensuite des cadres de vélo, des roues, des rangées de boyaux en train de sécher. Vous entriez ensuite dans le bureau de Mickey Wiégant. Il me posa alors la question : « Alors vous êtes venus pour faire quoi ? ». Je ne me rappelle même pas de ma réponse, mais cela me faisait très bizarre d’être vouvoyé. Il vouvoyait tous les coureurs et bien entendu, nous le vouvoyons aussi ». Ainsi s’instaurait, une distance, un respect entre le directeur sportif et ses coureurs.
Jean-Pierre Bouteille évoque encore ce coach autoritaire qui, après la classique Paris-Rouen où les coureurs de l’ACBB avaient couru en dépit du bon sens, il leur ordonna de rentrer à Boulogne à vélo. C’était le côté face de Mickey Wiégant : « Moi j’ai échappé à la sanction car je devais rentrer directement en voiture en Bretagne ». Mais il avait aussi son côté pile et sa proximité vis-à-vis de ses coureurs : « Il est allé dans une épicerie acheter toutes les victuailles pour les ravitailler tout le long du parcours et il est resté avec eux jusqu’à Boulogne », se souvient le jeune retraité de la ville de Dinan et résident de Quévert. « Il était toujours très attentionné pour ses coureurs en veillant au matériel, à l’alimentation. Nous avions des conditions idéales pour courir. Les clubs et les équipes extra-sportives bretonnes ne possédaient pas de tels moyens à l’époque ».
Pour le jeune Bouteille, tout avait commencé quelques années plus tôt. Le garçon avait pris l’habitude de trainer dans l’atelier du magasin de cycles de Marcel Plar de Plancoët : « J’écoutais tous ces coureurs qui se retrouvaient là et qui parlaient de leurs victoires ». Mais le gamin de 12 ans n’avait pas encore pris sa décision de troquer ses crampons de footballeur pour une paire de chaussures de vélo. Un évènement pas banal va provoquer un basculement définitif vers le cyclisme. Une manifestation qui mobilisa tout un pays contre une décision considérée comme une injustice dont fut victime un coureur du Cyclo-Club de Plancoët.
En ce mois d’août 67, Désiré Letort vient d’être sacré champion de France professionnel sur route à Felletin dans la Creuse, mais est déclassé dix jours plus tard suite au résultat positif du contrôle antidopage. La Bretagne s’indigne contre l’establishment parisien ! S’en suit des protestations de toutes sortes dont le point d’orgue est une manifestation à Plancoët. Le jeune Bouteille ne rate rien des discours enflammés de Joseph Samson, maire de la commune, et autres intervenants qui se succèdent à la tribune devant une foule compacte : « Avec mes yeux de gamin, je trouvais cela très injuste. Désiré, c’était notre idole ! » Letort perd son maillot tricolore. Mais cet évènement, qui paraît totalement surréaliste un demi-siècle plus tard, ne fait que renforcer une passion naissante chez cet enfant qui attend désormais avec impatience d’avoir l’âge de signer sa première licence.
Pendant que Jean-Pierre conte ces premières anecdotes de coureur, sa chère épouse Nicole a ressorti un gros cartable noir où sont entreposés toutes les coupures de presse, les albums photos, les cahiers de classement de l’époque, histoire de se remémorer de belles victoires et des multiples places d’honneur d’un coureur qui marqua de son empreinte le cyclisme breton des années 70 et 80.
Jean-Pierre et Nicole Bouteille ouvrent le « cartable » à souvenirs pour les besoins de Sportbreizh.
Tout commence chez les cadets sur un vélo bien moins performant que la machine de Jean Graczyk, mise à sa disposition par l’ACBB sur la Route de France : « Le CC Plancoët possédait quelques vieux vélos au cadre en acier qu’il prêtait aux débutants », se souvient Jean-Pierre. Les premières courses font apparaître de très bonnes dispositions et le nom de Jean-Pierre Bouteille apparaît rapidement dans les classements. Il inscrit sept ou huit victoires à son palmarès de cadet. Il s’affirme également dans les rangs juniors en glanant encore huit ou neuf victoires et une deuxième place au championnat de Bretagne.
Dès sa première année chez les seniors, il est engagé dans le groupe extra-sportif VitFrance, une des plus importantes structures de l’époque avant de frapper à la porte de l’ACBB, l’année suivante. La saison 1975 marque ses débuts sous le maillot gris et orange du club parisien en même temps que son service militaire. Il gagne la première étape du Tour d’Emeraude et le Grand Prix de la Boucherie de Montlhéry.
Jean Pierre Bouteille gagne le Grand Prix de la Boucherie à Montlhéry en 1975.
Une fois le service militaire terminé, Jean-Pierre revient à Plancoët. Pendant l’intersaison, il reprend son métier de carreleur aux côtés de son frère Dédé. Contrairement à beaucoup d’autres coureurs régionaux licenciés à l’ACBB, il réside en Bretagne : « Je montais en voiture sur Paris la veille des courses et notamment pour les classiques. Il me fallait à chaque fois trouver quelqu’un qui puisse conduire ma voiture jusqu’à l’arrivée de la course. C’était stressant. Je ne prenais pas le départ dans des conditions idéales », se rappelle le Plancoëtin. Cela ne l’empêche pas de gagner le championnat d’Île-de-France et de terminer 5e de la Route de France.
La saison suivante, Mickey Wiégant lui glisse : « Si vous me gagnez une classique, je vous ferai passer professionnel ». Pari tenu ! Jean-Pierre Bouteille décroche la classique Paris-Briare une semaine après les propos de son directeur sportif. Au cours de cette année, il termine encore 2e de Paris-Mantes, 2e de Paris-Dreux, 2e du classement général de la Route de France et 1er au classement par points après avoir gagné la 1e étape.
Jean-Pierre Bouteille, sacré champion d’Île-de-France sur route en 1976. Au centre son coéquipier de l’ACBB, Serge Beucherie.
Le voilà donc fin prêt pour passer le rubicon. A Mickey Wiégant de tenir sa promesse. L’équipe Fiat est alors en pleine recomposition. Ne croyant plus en l’avenir d’Eddy Merckx, ses dirigeants veulent reconstruire le groupe autour de jeunes coureurs et puisent allègrement dans le vivier de l’ACBB. Ils font signer le Britannique Paul Sherwen, Serge Beucherie et Jean-Pierre Bouteille. D’autres néo-pros bretons, Alain Budet, Gilbert Le Lay, Loïc Gautier viennent compléter le groupe.
40 ans plus tard, Jean-Pierre en parle encore avec une pointe d’amertume : « J’ai fait l’erreur de ma carrière en m’engageant dans cette équipe. Quelques jours après ma signature, Peugeot téléphona chez mes parents pour me dire de patienter encore six mois car une place allait se libérer dans l’équipe. Mais c’était trop tard, j’avais signé ». La formation Fiat se révèlera très éphémère, mettant la clé sous la porte dès la fin de la saison 1979, contrairement à Peugeot qui continuera encore dix ans dans le cyclisme professionnel. Et surtout, l’organisation au sein de l’équipe est plus que bancale : « Une fois, Loïc Gautier et moi-même, nous nous sommes retrouvés sans vélo au départ d’un Paris-Camembert. Ils avaient été embarqués avec l’ensemble du matériel, parti pour le prologue du Tour de Corse qui avait lieu le lendemain. Nous avons fait la course dans la voiture de Georges Talbourdet ».
Jean-Pierre Bouteille signe chez Fiat en 1978.
Fin 1979, l’aventure professionnelle s’arrête : « J’étais écoeuré. Je voulais arrêter le vélo. Ce sont mes parents qui m’ont encouragé à continuer », précise Jean-Pierre qui se reconvertit alors comme artisan-carreleur et redevient amateur dans l’équipe Continent, puis à la Ceinture Dorée Cycliste Léonarde. Il gagnera encore de belles victoires, mais un sentiment d’inachevé est toujours présent. Dommage, car il y avait encore de la place dans le gros cartable noir pour des coupures de presse et des photos souvenirs d’une carrière professionnelle qui n’a jamais vraiment pu prendre son envol.
Albert LE ROUX
Un club qui encourage ses jeunes coureurs talentueux à aller voir ailleurs pour progresser, la démarche était à l’époque relativement rare pour qu’elle mérite d’être notée. Ce fut pendant bien des années la politique menée par le Cyclo-club plancoëtin qui n’hésitait pas à conseiller à ses coureurs de tenter leur chance dans le plus grand club français, l’ACBB.
Le premier à prendre la direction de Boulogne-Billancourt fut Désiré Letort pour signer ensuite dans l’équipe Peugeot dès 1964. Robert Bouloux, sur ses conseils, lui emboitera le pas quelques années plus tard (voir les années bonheur de Robert Bouloux) avant de passer pro par la même filière Peugeot. En 1975, Jean-Pierre Bouteille suit le même chemin balisé. Entre temps, deux autres coureurs plancoëtins vont également tenter leur chance dans le club parisien, sans toutefois décrocher le graal du contrat pro, le sprinter René Le Roy au début des années 70 et José Beurel qui lui restera plusieurs années et gagnera deux classiques parisiennes sous les couleurs de l’ACBB.
Jean-Pierre Bouteille en compagnie d’un autre Plancoëtin sous les couleurs de l’ACBB, José Beurel.
Lors de son service militaire au siège de l’Etat-Major de l’Armée de l’Air à Balard, Jean-Pierre Bouteille fut le témoin d’une expérience pas ordinaire. Au petit matin sur l’aéroport du Bourget, une grosse limousine noire fit son apparition sur le site avec à son bord un personnage fort connu et très respecté dans le monde industriel et le secteur de la défense, Marcel Dassault, PDG des établissements du même nom, constructeurs à l’époque des fameux Mirages et dont les ingénieurs travaillaient déjà sur les plans du futur Rafale.
Ils avaient dans les cartons un tout autre prototype, un avion très léger construit en bois de balsa, totalement écologique en cette période de 1er choc pétrolier, puisque son mode de propulsion devait être la force du mollet. Le moteur n’était autre que Jean-François Pescheux, jeune sociétaire de l’ACBB et sous les drapeaux à Balard en compagnie de Jean-Pierre Bouteille : « Pendant mon service militaire, on m’a même fait passer mon brevet de pilote, car il ne s’agissait pas seulement de pédaler pour le faire décoller, mais ensuite de le piloter l’avion », se rappelle Jean-François.
Une expérience qui avait pour partenaire en plus de Dassault, un autre constructeur d’avions aujourd’hui disparu Hurel-Dubois et…Louison Bobet, lui-même pilote. L’aéronef à pédales avait une envergure de 32 m pour une longueur de 18 et pesait 70 kg, selon l’ancien professionnel de chez Jobo-Wolber puis de la Redoute-Motobécane. « L’avion a connu pas mal de casse en raison de son envergure et de sa difficulté à le stabiliser. A chaque fois le bout d’une aile s’accrochait au sol », poursuit Jean-François Pescheux qui réussit tout de même à le faire décoller très brièvement de terre.
Ce prototype, qui aurait mérité d’être exposé au Musée du Ciel et de l’Espace, installé dans ce même aéroport du Bourget, connut une fin tragique, contée par l’ex-directeur technique du Tour de France : « Il était gardé à l’abri dans un des hangars du Bourget avec des Mirages en attente du salon de l’aéronautique. Ils ont démarré les moteurs d’un Mirage à l’extérieur sans avoir bien fermé la porte du hangar. L’avion en bois fut propulsé contre le mur intérieur de son abri par le souffle du moteur à réaction et réduit à un simple tas de bois ».
ALR
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