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L’œil pétille à l’évocation de ce souvenir. Cette victoire, Robert Bouloux la raconte encore comme s’il venait de franchir la ligne : « Je sens que j’ai vraiment les jambes. Nous sommes cinq dans l’échappée. Je mets une première mine. Daniel Ducreux et un autre Normand sautent. Je mets une deuxième mine, Bernard Guyot coince. Mais il reste encore son frangin Claude, face à qui je n’ai aucune chance au sprint. Alors je mets un dernier petit coup et je réussis à garder 100 mètres d’avance sur la ligne. C’est comme cela que j’ai gagné Paris-Dreux. Devant les frères Guyot !» Pour préparer notre rendez-vous, l’ancien coureur pro de chez Peugeot, Jobo-Wolber et Fiat a ressorti quelques photos craquelées de l’époque, le maillot gris et orange aux couleurs de l’ACBB qu’il a précieusement conservé et quelques coupures de presse afin d’évoquer cette époque bénie de sa jeune carrière cycliste.
En cette année 1966, les frères Guyot, licenciés à Créteil, faisaient la pluie et le beau temps dans le peloton amateur français. Bernard ne venait-il pas de gagner la Course de la Paix au mois de mai, devenant ainsi le premier vainqueur français de l’épreuve reine des pays de l’Est ? Seul Jean-Pierre Danguillaume rééditera l’exploit en 1969. Quant à Claude, rares étaient les coureurs qui pouvaient rivaliser avec le cadet des Guyot dans les arrivées au sprint.
Robert Bouloux, sa bonhommie était très appréciée du public.
Robert, jeune recrue de l’ACBB, signait à 19 ans sa plus belle victoire de sa première année parisienne. Il était temps, Paris-Dreux se courait au mois de septembre. Quelques mois plus tôt, en provenance de la ferme familiale de Ploubalay, le jeune Bouloux, un brin fanfaron, avait lancé à son nouveau directeur sportif Mickey Wiégant qui lui demandait quels étaient ses objectifs : « Je viens ici pour battre les frères Guyot ! » Pour toute réponse, Wiégant s’était contenté d’un silence.
Les semaines et les courses défilaient, et le jeune coureur costarmoricain, ou plutôt le jeune coureur des Côtes-du-Nord, n’avait toujours pas trouvé l’ouverture face aux deux frangins cristoliens. Mais cette magnifique victoire acquise avec le panache, devant Robert Oubron, le sélectionneur national, lui ouvrait grand les portes de l’équipe de France amateur.
Tantôt sous les couleurs de son club, tantôt sous le maillot de l’équipe nationale, Robert Bouloux allait savourer deux belles saisons ponctuées de victoires, de places d’honneur et de voyages, avant de passer professionnel chez Peugeot en 1969 : « Mon passage à l’ACBB, ce furent mes années bonheur dans le vélo », analyse un brin nostalgique celui qui avait débuté le vélo au CC Plancoët.
Eté 1961, encore adolescent le jeune Robert vient d’obtenir son certificat d’études et en récompense, ses parents lui offrent le vélo tant espéré : « J’ai fait plus de cinquante kilomètres le jour même pour aller le montrer à toute la famille et aux copains », se rappelle-t-il. Pourtant les premières courses se font dans l’anonymat le plus complet : « Je terminais dans le peloton, sans plus. J’étais épais comme une planche à laver ». Il réussit néanmoins à décrocher sa première victoire en fin de 2e année de cadet. Un déclic ! L’hiver suivant le jeune Plancoëtin a pris du coffre et sa première victoire lui a donné l’envie de la gagne. Courant désormais avec les 3e et 4e catégories, il entame la saison par un coup d’éclat et une victoire à la Pinterie dans les faubourgs de Fougères, une épreuve organisée par Albert Bouvet. Il en claquera six ou sept dans la saison, toujours avec le même panache.
A 18 ans, le voilà en 2e catégorie et les coursiers qu’il côtoie s’appellent désormais François le Bihan, Jean Bourlès, Félix Le Buhotel : « Je ne réussissais pas à les battre, mais je crois bien que je les faisais souffrir », sourit-il. Mais déjà le jeune Robert a des envies d’ailleurs : « Je ne voulais pas rester faire le tour des clochers. A 18 ans, mon rêve était de passer professionnel et de faire le Tour de France. Je dévorais les pages sportives des journaux et les revues de cyclisme et le grand club de l’époque c’était l’ACBB ».
Mais la formation parisienne ne vient pratiquement jamais courir en Bretagne. Robert va donc prendre conseil auprès d’un autre Plancoëtin, Désiré Letort, passé lui aussi par le meilleur club français en 1964 avant de suivre la filière « normale » vers l’équipe Peugeot : « Désiré m’a conseillé d’écrire à Wiégant. Quelques semaines plus tard, celui-ci m’a répondu en me proposant de venir courir deux courses en région parisienne. J’ai fini entre la 15e et la 20e place, mais il m’a dit qu’il me prenait pour la saison suivante ».
A 19 ans, en février 1966, Robert prend ainsi le train pour Paris. A peine le temps de faire connaissance avec ses équipiers au service course du club, qu’il rejoint Saint-Aygulf sur la côte d’Azur en 2 CV en compagnie d’Enzo Mattioda qui passera pro en 1971 et gagnera Bordeaux-Paris en 1973. « Je découvrais de nouveaux paysages, de nouvelles senteurs. Moi qui n’avais jamais quitté la Bretagne, j’avais l’impression d’être dans un autre pays », se souvient-il.
Les courses méditerranéennes terminées, retour en région parisienne. « Nous les provinciaux, nous étions logés dans un petit hôtel près du siège du club. Nous y avions nos habitudes. Mickey Wiégant venait nous voir quasiment tous les jours et nous donnait les programmes d’entrainement, nous suivait en voiture. C’était quelqu’un de très élitiste, c’est sûr. Mais il était aussi fin psychologue. Les consignes de courses étaient très simples. Dans les épreuves par étapes, il n’y avait pas de leader avant le départ. Les mieux classés à l’issue de la première étape étaient protégés. »
Robert Bouloux élu meilleur coureur de l’année 1967 connait les honneurs à la mairie de Boulogne-Billancourt.
Après sa victoire dans Paris-Dreux, Robert entame sa deuxième saison dans l’équipe parisienne en 1967. Cette année-là, il inscrit à son palmarès Paris-Troyes et Paris-Mantes, le championnat de France du contre la montre par équipe et la première étape (également un contre la montre par équipe) du Tour de l’Avenir. « En fin de saison, je fus élu meilleur coureur de l’ACBB. Le sponsor de l’équipe était alors le fabricant d’électroménager Ducretet Thomson. J’ai reçu en cadeau un téléviseur. Tu ne peux pas t’imaginer ma fierté de rentrer à la ferme de Ploubalay. Mes parents n’avaient pas encore de télé à l’époque. »
Robert Bouloux à gauche, champion de France du 100 km contre la montre par équipes avec l’ACBB en 1967. A droite, Bernard Thévenet.
En février 1968, Robert Bouloux reprend la direction de la capitale pour sa troisième saison à l’ACBB. Il fait désormais partie des cadres du club et de l’équipe de France amateur, régulièrement sélectionné par Robert Oubron. Il signe un deuxième titre de champion de France du contre la montre par équipe, ce qui lui ouvre les portes de la sélection pour les Jeux Olympiques de Mexico. Il termine deuxième du Tour de l’avenir. Il finit encore 2e de Paris-Roubaix amateur.
Robert Bouloux est fin prêt pour entrer au sein de l’équipe Peugeot-BP-Michelin dès 1969. L’impression de ne plus assouvir une passion mais de pratiquer un métier ? Le sentiment de ne plus pouvoir réaliser ses coups d’éclats, bridé par son statut d’équipier ? Au fil des mois et des années, l’insouciance qui le caractérisait chez les amateurs s’est rapidement étiolée pour laisser place chez les professionnels à un stress permanent : « Peut-être que je n’avais pas la mentalité ?» s’interroge-t-il aujourd’hui. Et de conclure en évoquant une nouvelle fois le rôle de son mentor : « si j’avais eu Mickey Wiégant comme directeur sportif chez les pros, je pense que mon palmarès aurait été tout autre ».
Albert LE ROUX
Robert Bouloux (au centre) était un des piliers des équipes de France amateur pendant ses années ACBB.
Robert Bouloux était un coureur complet, passant bien la montagne. Ainsi sur ses neuf années professionnelles, il disputa sept Tours de France (un seul abandon), toujours placé dans la première moitié du classement général et une 20e place en 1976.
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