« J’ai quitté le peloton en 1996, après 21 années de compétition. Une éternité. Depuis je travaille comme JRI, journaliste reporter d’images. Plus simplement cameraman. Je voyage pas mal pour tourner des magazines de société et le vélo n’est plus vraiment une priorité pour moi. Pourtant chaque année, je travaille pour Eurosport sur le Tour de France et aussi quelques journées pour France 3, sur la moto qui couvre les épreuves bretonnes.
Désormais aujourd’hui, avant le départ, j’éprouve un peu le sentiment de ne plus faire partie de ce milieu. C’est un peu vrai dans les faits puisque à part pour le travail je ne vais jamais sur les courses. Après avoir disputé toutes les courses amateurs et professionnelles je ne voulais pas vivre dans la nostalgie. Et sans doute aussi ne pas ressentir l’envie d’y être encore ! Mais je dois dire qu’au fond, j’éprouve encore le désir d’être à la place de ces mecs en cuissard. Mais pas question pourtant de passer pour un "ex" qui joue les vieux guerriers qui a tout vu.
Aujourd’hui, je désire écrire sur ce que j’ai vu le samedi 27 mars et le dimanche 28 mars, au grand prix Gilbert Bousquet et aux Boucles Guégonnaises. J’étais aux premières loges puisque je suis sur la moto caméra. Comme d’habitude, j’arrive toujours un peu blasé : pas drôle d’assister sans participer et pourtant, dès le drapeau baissé, je redeviens coureur. Je suis à l’avant, je sens le vent, j’entends les bruits des vélos, je ressens la nervosité de la meute. Je m’y crois ! Comme avant !
Pourtant ce fameux week-end, sur la moto, j’ai assisté à deux courses de cadets. A l’arrivée j’étais frustré et furieux. Pourquoi ?
J’ai vu et bien vu l’ensemble des coureurs courir comme s’ils n’avaient rien appris tactiquement. Je ne parle pas d’une vraie tactique élaborée mais du simple B.A BA qu’un coureur de moins de 25 ans doit posséder. Au départ des Boucles, après
Comble d’étonnement, les coureurs formaient même une bordure à l’envers ! Le vent venait « trois quart gauche » et eux ont tourné à droite pendant
Bref, tout cela, c’était avant ! Tout était pensé. Du moins, chez beaucoup de coureurs. Dimanche dernier, rien de tout cela. Le peloton ne s’est jamais réellement organisé et devant, à part deux ou trois individualités, c’était pire. Les Belges ont voulu prendre la course à leur compte : mi route… Pourtant, même eux n’ont jamais mis les moyens dans cette tactique. Ils ont placé au maximum trois coureurs dans cette bordure sur huit (puisque mi route n’autorise pas plus de coureurs faute de place). Pour que cela marche, il aurait fallu jouer aux Raleigh : dans les années 80, toute l’équipe faisait exploser le peloton ! Dimanche, le champion de Belgique avait l’air d’être le patron. Il n’a pourtant jamais mis ses équipiers devant « au taquet». Des coureurs de différentes équipes représentées venaient même relayer, sans être organisé. Le pire c’est que tous les autres, bretons et autres ont accepté de se faire mettre dans la « caillasse » sans broncher, pendant trente bornes… J’étais furax ! Tous étaient soumis aux flahutes ! Il aurait suffi d’ouvrir une nouvelle bordure, de laisser les étrangers faire comme ils voulaient de leur côté. D’ailleurs, ils auraient radiné dare-dare si cela s’était fait. Du coup, le groupe a pris trente seconde puis une minute sans vraiment creuser l’écart. Vous me direz : « Oui mais ils ont été au bout ! » Oui, certes… Mais bon Dieu, quelle course ennuyeuse vue de ma moto.
Que s’est-il passé en moins de quinze ans pour que des premières catés se mettent à rouler sans réfléchir, sans utiliser ce qui faisait la différence entre un bœuf et un joueur d’échec ? Dimanche, le plus fort a gagné. Dommage qu’aucun autre n’ait tenté de faire fonctionner ses méninges : il aurait peut-être eu la chance de tirer les marrons du feu Il m’était agréable, à moi, de gagner quand je n’étais pas le meilleur.
Alors critiquer pour critiquer ce n’est pas vraiment la solution. Il faut pouvoir expliquer. J’ai une analyse. Pas forcément la bonne mais ça va me calmer :
Il y a une époque (nostalgie…) où quand un jeune passait de junior en senior, il courrait avec des « Hommes ». Des coureurs physiquement matures et confirmés qui avaient été pro ou qui en tous cas avaient roulé leur bosse en équipe de France. En ces temps, le peloton était moins mondialisé… Mais les Russes, les Allemands de l’Est, les Pollacks et autres, c’étaient ce qui se faisait de mieux en amateur ! Bref, les jeunes français se frottaient à des coureurs chevronnés, expérimentés, qui maîtrisaient la tactique comme les pros. Quand ces jeunes français n’étaient pas sur des épreuves internationales (Granitiers Bretons, Course de la paix, Tour du Vaucluse, Tour de
Mon parrain, celui qui m’a tout appris, s’appelait Yves Ravaleu. Croyez-moi, être au contact de coureurs de trente ans et plus et savoir que vous n’avez pas droit à l’erreur, cela vous rend vigilant. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si dimanche dernier, le seul qui ait tenté d’ouvrir cette maudite bordure à l’avant fut son fils Stéphane. Il fut à bonne école. A deux reprises, je l’ai vu faire mais personne n’a rien compris à la manœuvre.
Voilà, je ne vais pas vous raconter ma vie ; ça n’est pas le propos. D’autant que certains ne manqueront pas de me rappeler que ces mafias faisaient partie d’un système incluant aussi bien d’autres maux comme le dopage ! Je crois pouvoir m’exprimer là-dessus : j’ai payé pour pouvoir l’ouvrir en rendant un record de l’heure, non ?
Il faut aussi rajouter qu’aujourd’hui on ne court plus avec des vieux coureurs qui avaient à transmettre. « On » les a éjecté du système. Pas maîtrisable ces rebelles. Aujourd’hui on court entre jeunes. Entre espoirs de moins de 23 ans. Comment apprendre quand on ne sait rien ? Doucement et plus lentement qu’avec un maître. Aujourd’hui on apprend seulement quand on devient pro. L’intelligence en course, un coureur ne la détient pas de façon innée. Elle s’installe petit à petit en répétant les situations de course. Sans tuteur cela prends des années. Avec des exemples qu’étaient les anciens deux suffisaient. L’adage « baisse la tête, t’auras l’air d’un coureur » m’a toujours paru aberrant. La course c’est aussi une partie d’échec. Le plus fort est souvent celui qui a plusieurs coups d’avance.
Enfin, rajoutons que cette maudite oreillette a fait bien des ravages. Si les coureurs ne savent plus quoi faire dans les moments cruciaux d’une épreuve, c’est bien la faute de ces écouteurs ! Et maintenant qu’ils ne les ont plus, ils ne savent plus que faire… J’ai assisté à un Tro Bro, il y a quelques années. J’étais dans la voiture d’un illustre directeur sportif. Je l’ai vu et entendu indiquer à ces coureurs d’où venait le vent, quand le parcours allait prendre une nouvelle direction, quand se replacer et même quand manger !!! Tout est dit… On a tout changé en moins de 20 ans. Des changements qui ont bouleversé ce sport. Certains ont été décisifs comme la lutte contre le dopage : il fallait le faire. D’autres ont été moins « heureux ».
Ecarter les coureurs de plus de trente ans, multiplier les courses en lignes et faire disparaître les critériums pour les premières catés… Voilà des décisions catastrophiques pour le haut niveau et pour le public. Ah le public ! A ce propos un organisateur de ce fameux week-end m’a dit : Il ne faut pas faire un circuit trop dur pour permettre à un maximum de coureurs d’arriver au circuit ! Le public veut voir le peloton ! Wahoo ! Le nivellement par le bas, quoi. Le public veut voir les gars "la gueule en travers", des mecs qui se battent ! On veut quoi, une arrivée au sprint ou une lutte au couteau ? Personnellement mon choix est fait...
Je ne voudrais pas être un oiseau de mauvais augure et je n’ai aucune proposition ni suggestion à offrir quand bien même « on » me le demanderait. Je voulais juste vous dire : ça craint ! Faites quelque chose Messieurs les décideurs qui dirigent et qui n’ont jamais borduré pour de vrai… »
PHM
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