Disparition de Jean-Yves Fichoux : Une voix du vélo s’est tue

Organisateur des courses de Kernilis et du cyclo-cross du Carman, Jean-Yves Fichoux anima les courses pendant quatre décennies. Tous les coureurs des années 80 et 90 ont encore en mémoire sa verve syllabique.

Jean-Yves Fichoux nous a quitté. Voilà déjà plusieurs années qu’il avait posé le micro, pour se consacrer avec ses amis à l’organisation du Tour du Pays du Lesneven et de la Côte des Légendes. L’an dernier, il l’avait brièvement repris pour animer le départ du contre-la-montre du matin. Mais la voix était chevrotante. Au mois de mars dernier à quelques jours du départ de la 25e édition, Jean-Yves ne répondait plus que par texto. « J’ai une tumeur aux cordes vocales et je ne suis pas sûr de pouvoir être présent sur la course », nous écrivait-il.
Normalement le « Je » est proscrit en journalisme mais permettez-moi une exception car avec Jean-Yves, nous avions fait connaissance bien avant que je ne décide de choisir ce métier.

 

Première animation, premier succès

 

Je crois bien avoir eu le privilège d’assister à sa première prestation au micro d’une course cycliste. Ce devait être l’été 1977. Il y avait ce dimanche des courses à Kernilis, une épreuve cadets en ouverture, suivie d’une course seniors. Jeune cadet 1ère année, j’entrai dans la salle communale pour prendre mon dossard. Il y régnait une nervosité inhabituelle chez les dirigeants du VS Lesnevien. Je compris que le speaker officiel de la course venait de se décommander. Jean-Yves Fichoux, alors jeune président du comité des fêtes, s’exécuta à prendre le micro. La prestation fut bonne. Une vocation naissait, une carrière de 40 ans débutait.

 

Une formule à dynamiter un peloton

 

Jean-Yves Fichoux, c’était une silhouette dont la rondeur attirait tout de suite la sympathie. C’était une voix, mais surtout une expression, une formule presque magique, capable à elle seule de dynamiter un peloton, lorsqu’à 300 mètres de la ligne les enceintes de la sono crachaient : « Messieurs 3000, 2000 et 1000 ! ». Jean-Yves réitérait le message aux 200 mètres, puis encore une troisième fois dans les 100 derniers mètres devant une meute de coureurs excités.
Etaient-ce les intonations de Jean-Yves ou les fortunes annoncées qui nous motivaient à dilapider notre énergie dans les sprints intermédiaires, quitte ensuite à sombrer dans l’anonymat du classement final ? Les deux sans doute.
Bien qu’expert-comptable dans la semaine, le week-end Jean-Yves omettait volontairement de préciser quelle était sa mesure-étalon. Etaient-ce de l’ancien franc, du franc lourd, des « lurioù », de la sesterce ?
Il avait une variante haute : « 5000, 3000 et 2000 sur la ligne ! ». Décrocher la première part, c’était le Jackpot : le prix d’un boyau d’entrainement. Il nous rendait riches, même si nous savions que ce n’était qu’illusion.

 

Beaucoup de francs (anciens), peu de dollars

 

Pas pour tout le monde cependant. Un été, un couple d’amis canadiens de mes parents vinrent découvrir la France. Entre les plages du débarquement et le Mont Saint-Michel, ils eurent le privilège de découvrir une course cycliste en pays léonard, animée par Jean-Yves Fichoux. Alors que je m’évertuais laborieusement devant le peloton à épaissir un porte-feuille fort mince à l’époque, l’ami canadien fit cette remarque à mon père : « Ton fils doit bien gagner sa vie sur son vélo ». Le paternel se sentit le besoin de préciser : « Bon, il faut quand même diviser par 100 ». Sans doute que l’ami américain fit mouliner ses neurones pour réaliser la conversion en dollars. Les 3000, 2000 et 1000 de Jean-Yves subirent une dévaluation sévère, un vrai krach. Les connaisseurs du vélo savent tous qu’un sprint massif n’est pas une ruée vers l’or.

 

Obsolescence programmée le 1er janvier 2002

 

La formule de Jean-Yves devint brutalement obsolète le 1er janvier 2002, date de l’avènement de l’euro. Néanmoins, les coureurs finistériens des années 80 et 90 l’ont encore tous en mémoire, tout comme Jean-Michel Brochen, aujourd’hui rédacteur en chef de L’Equipe Magazine.
Le journaliste est un spécialiste du ballon rond, mais avant qu’il ne rejoigne France Football puis l’Equipe Mag, il fit ses classes au Télégramme auprès d’Yvon Joncour. Pour que le jeune reporter ai une vision globale du métier, le responsable du bureau brestois du service des sports du quotidien l’envoya alors couvrir quelques courses cyclistes en campagne. L’aventure l’a semble-t-il marqué. 35 ans après les faits, en 2019 il titrait son édito : « 3000, 2000 et 1000 ! ».
Bonne route Jean-Yves. Et là haut, transmets notre bonjour au Vicomte.

 

Albert LE ROUX

 

Merci à Jean-Paul Mellouët de nous avoir ouvert sa photothèque.

-Photo d’ouverture : Jean-Yves Fichoux interviewant Remy Hello au championnat de Bretagne de cyclo-cross à Lannilis en 1991.

-Photo 2 : Avec Bruno Chemin, vainqueur du 1er Tro Bro Leon en 1984.

-Photo 3 :.Avec Jacques Anquetil.

-Photo 4 : Avec Dominique Le Bon, vainqueur du Tro Bro Leon en 1987.

-Photo 5 : Avec Pierre-Henry Menthéour.

 

Ci-dessous, l’édito de Jean-Michel Brochen dans l'Equipe Magazine.